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Les orthos au Burkina !
30 novembre 2013

Mieux vaut tard que jamais

Une amie m'a demandé il n'y a pas longtemps si, un jour, le fameux article "bilan de l'Afrique" apparaîtrait sur le blog.  La question était légitime, notre journal virtuel ayant été annoncé comme non terminé ! De plus, les nouveaux projets d'Ortho'Go 2014 étant actuellement en train de voir le jour, les souvenirs sont forcément ravivés...

Alors voici mon propre bilan, à moi, Marion. Mes camarades viendront poster elles-mêmes leur témoignage si elles en ont le besoin, l'envie, et surtout le temps !

Malgré les mois qui ont passé depuis notre retour, je reste encore à ce jour mitigée quant à mon expérience africaine. Comme je l'avais prévu, je pense régulièrement à mon séjour lors de petites actions du quotidien : faire chauffer un plat au micro-onde, me servir un verre d'eau au robinet, tirer la chasse des toilettes et me rendre compte du "gaspillage" de ce liquide vital, aller chez le docteur et avoir la chance d'être remboursée, etc. Ce n'est pas omniprésent, ce n'est pas étouffant, mais c'est là, c'est en moi. Pour autant, je ne suis pas devenue de ces personnes admirables qui changent le monde de par leur implication dans des associations actives, de par un changement radical de leur mode de vie. Peu de temps après notre retour, j'ai pu avoir Jean-Marc Bruel de Zoodo au téléphone, qui m'a appris que Zongo avait été touché par une vague de paludisme, que beaucoup de morts étaient à déplorer, surtout des femmes. Aminata, Mamounata et les autres...Cela m'avait beaucoup touchée. Ne pas savoir ce qu'il en était rééllement sur place n'était pas facile. Il m'arrive d'ailleurs souvent de me demander, à tel ou tel moment de la journée, ce que les habitants de Zongo sont en train de faire, si les rééducations de Justin se passent comme il le souhaite. J'ai d'ailleurs gardé contact avec celui-ci, bien que nos envois de mail soient plutôt sporadiques. 

En cette période de fêtes de fin d'année, il m'arrive, comme tout le monde bien sûr, de calculer au mieux mon budget concernant les cadeaux de Noël et tout le reste, de  me dire que mon compte en banque mériterait d'être renfloué. Et, dans ces cas-là, mes pensées vont vers le Burkina : je nous revois expliquer aux trois A qu'en tant qu'étudiantes, nous ne gagnons par d'argent et ne sommes pas riches. Pourtant, par rapport à eux, nous paraissons tous millionnaires ! Il en va de même lorsque je m'achète une babiole inutile : cela reste un luxe, quoi qu'on en dise, de pouvoir acquérir des objets qui seront utilisés à des fins décoratives ou de loisir, voire qui ne serviront à rien de particulier. Les burkinabè ne sont pas matérialistes, pour la simple et bonne raison qu'il n'ont pas la possibilité de l'être.

Mais, comme je le disais, ces pensées forment des touches fugaces de mon existence, des brins de concience tantôt quotidiens, tantôt hebdomadaires, aussi imprévisibles qu'éphémères. Non, je n'ai pas parrainé d'enfant de Zongo, non, je ne dis pas aux gens qu'il faut envoyer des dons en Afrique car la situation y est critique, et non, je ne le fais pas moi-même. Oui, j'aimerais changer les choses, mais pour autant, je ne sais pas si j'en ai la force, la volonté. Car l'envie et la volonté sont deux choses bien distinctes, c'est indiscutable.  Et, si j'aimerais que ce monde change, c'est d'abord sur ma vie, qu'égoïstement   (ou humainement ?) je me base. Devenir orthophoniste est mon but cette année, fonder une famille en est un autre qui m'est cher.

Néanmoins, si l'hypothèse d'un autre voyage en Afrique reste pour le moins très...hypothétique (quelle redondance !), je suis par contre certaine que, si cela se faisait, cela ne serait pas en tant que "touriste", pas pour ma part du moins. Partir oui, mais solidairement, humanitairement. Humainement.

J'ai retrouvé un texte que j'avais écrit lors de notre séjour, peu avant notre départ, et, après (très) mûre réflexion, j'ai décidé de le poster ici, car il fait partie de ce voyage et aidera le lecteur à comprendre mon état d'esprit.  Je ne sais même pas s'il y aura encore des personnes pour lire cela, alors...!

 

"Est-ce en partant d’ici que je comprendrai véritablement ce que ce voyage m’a apporté ? Est-ce qu’en France, tout ceci me manquera au point de me rendre nostalgique ? Parfois j’ai peur de ne pas déchiffrer le sens de ce que j’ai vu et vécu en ces lieux, et de ne jamais pouvoir le faire. Je me dis que j’ai été folle de venir en Afrique, et que cela ne changera rien. Que je serai toujours la même, que le cours de leurs vies ne s’en trouvera pas dévié. Pourtant je suis déjà différente, et les gens que j’ai rencontrés ici le sont aussi. Nous avons tous évolué, par tout ce que nous nous sommes mutuellement transmis. Ces gens ne m’oublieront pas, pas plus que leurs visages ne s’effaceront de ma mémoire.

J’ai peur de redevenir celle que j’étais à mon arrivée ici, peur de ne jamais tirer les leçons de ce que j’ai engrangé durant ces dizaines de jours. Je voudrais devenir quelqu’un de meilleur, ne pas me laisser engloutir par le confort occidental et toute ses profusions de modernité, nourritures, et gadgets en tout genre. Je ne veux pas perdre de vue la vraie valeur de la vie, et apprendre à profiter toujours plus de cette dernière, sans râler pour un rien, sans me créer de prises de tête inutiles, sans impatience destructrice ou incapacité à résister aux frustrations. Je veux pouvoir accepter les choses avec philosophie, ne pas me braquer à la moindre contrariété, ne pas me laisser envahir par de la jalousie qui n’a pas lieu d’être, accepter de partager sans rechigner. Je veux utiliser au mieux les avantages de ma naissance sans en être dépendante, je veux faire honneur à ces gens qui donnent tout en n’ayant rien, qui cachent leur précarité sous des sourires francs et chaleureux, qui vivent pleinement quand leurs proches meurent de faim ou de maladies, qui répondent toujours que tout va bien tant que la santé est là. Je voudrais pouvoir me rendre compte chaque jour de la chance que j’ai, et laisser ce voyage réorganiser ma manière de voir les choses : apprendre à lâcher prise. Je voudrais fonder une famille, me marier et avoir des enfants avec qui partager ces valeurs.

Je voudrais avoir la force de revenir un jour, et ne pas m’enfermer dans ce cocon protecteur qu’est la France. Je voudrais hurler à l’Europe que je la hais de ne pas pouvoir aider les pays les plus démunis. Je voudrais cracher mon mépris à ceux qui ferment les yeux sur ce qui se passe ailleurs et qui se voilent la face. Je voudrais gueuler au monde que tout cela est injuste. Je voudrais exprimer à quelqu’un le dégoût que j’ai de désirer au plus tôt rentrer chez moi pour fuir la misère, la saleté, les carences, les manques, l’omniprésence dérangeante de ceux qui ne possèdent rien, les privations, le regard presque accusateur des adolescentes transpirantes qui poussent leur lourd tonneau d’eau sous le soleil de plomb et qui semblent parler par leurs yeux : « tu pourrais être à ma place, nassara, tu aurais pu naître ici. Tu as juste eu plus de chance que moi à la loterie, moi j’ai tiré le lot de consolation. ».

Quelle consolation ? Celle d’être vivante et esclave de sa propre vie ? Celle d’avoir encore la force de tirer ces litres de liquide sur plusieurs kilomètres chaque jour ? Celle d’avoir peur de la mort tout en souhaitant ardemment qu’elle arrive vite ?

Antoine et Augustin nous répètent souvent de rester ici, et de ne repartir en France qu’en vacances. Je sais bien sûr que ce n’est pas possible (« mais tout est possible, Poko »), que je dois prendre cet avion mercredi, que je dois retrouver les miens, que je deviendrai orthophoniste, que mon foyer se retrouvera certainement dans mon pays natal. Je sais que ma vie n’est pas ici.

Mais putain, qui a donc décrété que la leur devait l’être ?

 

Et rester positif, pourtant. Ne pas se laisser bouffer par ce voyage et en revenir plus forte pour les gens que j’aime. Et pour moi, aussi.

Bien sûr que ce séjour ne sera pas vain, ne serait-ce par toutes les rencontres inoubliables qu’il m’a permises. Ces personnes que je ne reverrai peut-être jamais m’ont offert quelque chose d’infiniment plus précieux que tout bien matériel : un état d’esprit, qu’il me faudra apprivoiser, adopter, et appliquer durablement. Et qui me donne l’envie inébranlable de bâtir ma vie en tenant la personne que j’aime par la main, en me donnant les moyens de nous réaliser dans la confiance : garder la foi en l’avenir, sans s’appesantir, et profiter pleinement de tous les moments qui nous seront offerts.

Bien sûr, je ne deviendrai pas parfaite. Mais je tenterai coûte que coûte d’améliorer ce qui peut l’être. Pour moi, pour mes amis burkinabè, pour mes proches. Que les seconds soit fiers de ce que les premiers ont fait de moi.

Le Burkina Faso ne sera plus simplement un point sur une carte, désormais."

 

Voilà. Ce que j'en retire, c'est que même si les changements ne sont parfois pas flagrants, ce genre d'expérience fait forcément réfléchir, et nos vies en sont inéluctablement modifiées, que cela soit de manière infime ou plus spectaculaire. Certaines personnes choisissent de partir encore plus loin, de tendre toujours plus la main. D'autres se renferment dans leur quotidien, culpabilisant parfois en prenant une douche ou en entendant les actualités désastreuses de certains pays. Et cette "liste" n'est bien sûr pas exhaustive : autant de comportements que de voyageurs, car nous avons tous une manière différente d'appréhender les choses sur place ou à notre retour. Et nous avons la chance d'avoir le choix, le choix de faire ce que nous voulons de cette expérience, le choix de l'utiliser au quotidien. Nous avons eu la chance de partir, aussi. Quand j'y pense, malgré tout, nous avons de la chance. Et j'aime pouvoir m'en rendre compte. Car mine de rien, cela me permet de m'émerveiller toujours plus pour des broutilles, cela me permet d'être heureuse. Car je le suis (au cas où quelqu'un en douterait !).

Donc non, je ne suis certainement pas devenue parfaite. Je ne sais pas non plus si je suis devenue meilleure, mais j'essaie. Je ne sais pas non plus si écrire cet article servira à quelque chose, mais maintenant, en tout cas, c'est fait !

Je finirai par parler d'une vidéo que Gwen a réalisée, et qui résume très bien notre voyage, ce que nous avons vu et vécu. Si par hasard, quelqu'un lit ce message, et si, par un plus grand hasard encore, il ne connaît pas cette vidéo, je la lui recommande chaudement !  http://www.youtube.com/watch?v=1eklON0LHXQ

 

Bref, encore un pavé sur ce blog, peut-être le dernier, cette fois. La relève de Ouagaphonie est en marche, car le projet tend à être repris cette année par cinq nouvelles membres d'Ortho'Go. J'espère que ce voyage leur apportera autant que ce qu'il a pu m'apporter et, mais j'en suis sûre, qu'elle sauront en retirer tout le bénéfice possible pour la suite de leur vie.

Et peut-être que, comme moi, elles rêveront parfois en mooré, comme cela m'est arrivé plusieurs nuits après mon retour en France, et comme cela m'arrive encore aujourd'hui.

 

Marion

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Commentaires
A
Je découvre à l'instant que vous êtes retournées au CEFISE. Quelle bonne nouvelle!
A
J'ai fait partie de l'équipe Fasophonie 2010, la première équipe lilloise à être partie au Burkina et si les équipes suivantes veulent me contacter, je serais ravie de leur donner 2-3 noms de personnes à contacter voire des lieux de stage à reprendre.<br /> <br /> Voilà mon mail : annaelle.loyer@hotmail.fr<br /> <br /> 4 ans après, on n'oublie pas grand chose et on n'oubliera pas.
B
J'ai lu ;-) Et c'est bien chouette de découvrir plus précisément tes ressentis et ta façon de voir les choses. Merci de ns avoir permis de voyager un petit peu avec vous tout au long de ce blog !
A
" Je passe le plus clair de mon temps à l'obscurcir parce que la lumière me gêne...." disait Boris Vian. <br /> <br /> Sous la lumière crue du Faso, la misère à l'état brut permet cependant à l'amitié et à la solidarité de briller de mille feux. Désormais, tu portes ce diamant au fond de ton cœur.
P
Comme dit Manset "nous sommes prisonniers de l'inutile"...
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