Gwen :

Bon ! Il parait qu’aujourd’hui c’est jour de fête, jour de pré-weekend, et surtout, dernier jour de CEFISE avant lundi ! Nous voilà donc toutes, chacune avec notre plume, pour vous faire un petit résumé personnel de nos expériences burkinabé.

Pour ma part, je suis toujours aussi heureuse de lire vos messages, dès que l’accès à Internet est possible. Nous n’avons pas la possibilité de répondre à chaque fois, et j’en suis désolée, mais j’ai cru comprendre que les nouvelles circulaient bien, alors j’ose espérer que personne ne m’en voudra. J’espère également que les longues chroniques de Marion ne vous manqueront pas trop aujourd’hui, et que nos mots sauront traduire (presque) aussi bien que les siens ce que nous vivons ici.

Voilà déjà une semaine que nous foulons le sol africain, au rythme du soleil, des pluies diluviennes qui viennent de temps à autres refroidir l’air ambiant, au rythme des rires des enfants, des djembés et des mets locaux que nous apprécions toujours autant (déguster une orange fraîche, à la fin d’un après-midi de cours, quoi de mieux ?). La semaine est passée assez vite, et pourtant, nous avons l’impression de vivre ici depuis des mois, grâce aux habitudes rapidement adoptées. Nos hôtes nous gâtent, tout le village est mobilisé autour de notre présence ici. Les enfants courent vers nous dès que nous mettons le pied dehors. Et d’ailleurs, ils viennent aussi sans que nous ayons à mettre le pied dehors ! Je pense notamment au petit aveugle, Apo, qui vient plusieurs fois par jour nous appeler. Son « nassara » si caractéristique, nous ne l’oublierons jamais, je crois !

Dans vos messages je lis souvent des références à la misère, et vous nous encouragez, vous nous félicitez de ce que nous apportons ici, pour offrir une vie meilleure. Cela me surprend, car ici, ce n’est pas la misère que je remarque avant tout. Bien sûr, les conditions de vie sont rudimentaires, bien sûr la nourriture est moins diversifiée, et moins fréquente que chez nous, bien sûr vêtements, logements, routes et autres aspects matériels sont entretenus de façon… artisanale ? Bien sûr, tout ici est plus pauvre qu’en France. Mais je peux vous assurer qu’au premier abord, on a plus l’impression de découvrir un nouveau monde, une nouvelle logique. De prime abord, en arrivant, je n’ai pas comparé le Burkina et la France. On n’a pas en tête ce fameux « Oh ! Les pauvres, ici ils n’ont rien, nous avons tout, c’est triste ». Non, pas du tout. A l’échelle locale, le fonctionnement social, le fonctionnement matériel du pays est logique et relativement cohérent. Au premier abord, je vois surtout le courage, la dignité et les sourires des personnes que nous croisons. Après une semaine ici, et dès que la comparaison intervient, effectivement, nous nous rendons vraiment compte qu’il est vraiment injuste que nous ayons tant pour faire fonctionner notre pays, que nous ayons « trop » pour faire fonctionner nos pays, alors qu’ici, le fonctionnement général correspond à peu près à ce que nous connaissions il y a quelques centaines d’années en France.

Ici, un foyer comprend une petite maison de pierre, une natte, une ou deux chaises, un ou deux tabourets et quelques seaux. Les commerçants possèdent aussi de quoi fabriquer galettes, robes,… Cela me rappelle parfois les visites de musées dans lesquelles nous trouvons des représentations de scènes de la vie quotidienne au cours d’époques lointaines. Vous savez, ces mannequins habillés au temps de l’époque, qui nous permettent d’entrevoir ce qu’étaient alors les différents aspects de la vie. Dans ces mises en scène, on voit deux mannequins, un lit, une chaise, de la poussière par terre, une malle et… voilà. Et bien ici, c’est ça. Chaque famille possède le strict minimum, le nécessaire pour dormir, manger, se laver et élever les enfants.

Au marché, seul ce qui est utile est vendu. Pas d’immense centre commercial au but uniquement lucratif, rien qui puisse être ici « seulement pour le plaisir ». En effet, c’est plus pauvre que chez nous, et c’est vrai que c’est injuste. Mais la vie continue, le plus important ici, c’est la santé. Les burkinabés sont braves, et admirables. Vraiment. Ils sourient tout le temps. A Zongo, l’ASPRO et ses membres font tout leur possible pour apporter du savoir aux nouvelles générations, dans l’espoir que les choses seront différentes dans quelques années, que l’illettrisme sera à court terme un mauvais souvenir. Ils sont vraiment admirables. Si vous voulez plus d’informations sur les actions réalisées ici au cours de l’année, n’hésitez pas à consulter le site internet de l’association Zoodo. Ces deux associations font bouger les choses, petit à petit, et c’est une réelle fierté que d’y contribuer, même si l’impact restera toujours trop petit. Rencontrer ces gens formidables au détour de la vie, confronter nos vécus et tenter de rendre le monde plus généreux, plus instruit, plus juste et plus souriant est un réel bonheur. Je n’oublie cependant pas qu’une fois le confort français retrouvé, le combat de nos trois A et de tout le Burkina continuera pour longtemps encore, et qu’il faudra beaucoup d’autres efforts, et beaucoup d’autres actions comme les nôtres pour que l’avenir se dégage. Comme le dit si bien Marion, si le courage et la force ne me manquent pas, peut-être que je reviendrai. Le plus beau serait de mobiliser encore plus de français à cette cause, créant ainsi des soutiens supplémentaires pour nos trois héros, Antoine S, Antoine O et Augustin.

Mis à part tous ces aspects culturels, je tiens à dire qu’Hélène et Marion sont adorables. C’est super d’être ici avec elles. En général, une journée « type » compte une bonne dizaine de fous-rires, que nous avons parfois du mal à contrôler. Bien sûr, mes questions naïves et mes blagues stupides se font remarquer, mais bon, on ne change pas une équipe qui gagne ! Précisons d’ailleurs qu’Hélène les note toutes scrupuleusement (au même titre que toutes les autres bourdes), afin d’effectuer la sélection qui sert à l’élaboration de notre « rubrique des grosses nouilles ». Marion quant à elle passe vraiment beaucoup de temps à rédiger les grands articles qui plaisent tant. Elle s’applique, et c’est super que cette collaboration existe ! D’ailleurs, petite note, elle ADORE (BEAUCOUP) les petits commentaires sur le blog, alors n’hésitez pas. Et ne lui répétez pas que j’ai dit ça, parce que NON je ne me moque pas du tout de ses petits « hiiiiiiiiii un maiiiil !!! » « hiiiiiii un commentaiiiiire » « hiiiiii un textooooo ! ». C’est interdit de se moquer ! Ahah !

Et enfin, que serait un message qui ne parlerait pas de photos ? Nous en prenons énormément ici. La sélection que vous voyez est représentative de ce que nous vivons, mais j’ai vraiment hâte de vous montrer celles « moins représentatives » mais plus jolies aussi.

Voilà, merci à tous de votre soutien, et de tous vos messages. Je vous embrasse tous bien fort, et vous souhaite un bel été. A très vite,

Gwen

Hélène :

A la suite de la prose de Gwen, voici la mienne : une lourde tâche ! Retranscrire mon point de vue et mon vécu ici. Pas évident, étant donné que mon humeur et mon ressenti changent au gré des heures, au gré des jours. Bonheur, honte, admiration, peine, bien être, mal être, joie, dégoût. Ces émotions se mélangent, se cachent les unes derrières les autres, puis réapparaissent.

Parmi toutes, l’admiration ne disparaît jamais. D’abord parce que les gens sont splendides : je contemple chaque jour, inlassablement, la beauté de leurs traits, la beauté des lignes de leur corps. Cette beauté, je pourrais l’expliquer par la beauté de leur cœur, leur fierté et leur dignité humaine. Qu’il est loin le cliché raciste de « sauvage » qu’on a pu leur associer ! Ils se respectent eux-mêmes, et respectent plus que quiconque l’Homme. Ce respect transparaît dès qu’ils se meuvent : un geste, un sourire, une parole et cette tenue du corps qui jamais ne faillit. « Il n’y a qu’un jour où l’Homme se repose, le jour de sa mort. » Les maladies, la fatigue et les travaux physiques n’ont qu’à bien se tenir.

Leurs valeurs illuminent la misère qui se fait ressentir à chaque coin de rue. Et c’est là que ma vie, notre vie d’occidental me dégoûte. Comment vivre dans ce luxe français pendant que d’autres à quelques heures d’avion crèvent la gueule ouverte ? Comme le dit si bien Antoine, « Chaque jour que Dieu nous donne, à chaque lever du soleil, c’est une nouvelle lutte pour survivre. ». Je suis ici pour vivre et comprendre leur quotidien, et plus que tout, mettre des visages sur ces Hommes anonymes que l’on sait bien plaindre depuis notre si belle France, sans jamais comprendre leur réalité, sans jamais les aider.

Et nous voilà toutes trois au Burkina pour les soutenir, pour mettre nos savoirs et notre personne au profit de ce peuple. Nous partions plein d’espoir, nous constatons que nous ne serons jamais que des moineaux qui agitent les ailes devant un aigle – ce gouvernement qui pille les ressources de son peuple. Alors voilà notre action : alphabétiser les habitants de Zongo, en vue d’un lendemain meilleur. Eveiller leur conscience. Mettre le savoir à leur portée. Ouvrir leur quotidien à autre chose que la survie. Ici on sait que le système nous traîne dans la boue. Mais survivre puise trop d’énergie pour pouvoir se préoccuper de politique, de révolution. Se battre, c’est imaginer une évolution à long terme : comment se projeter si loin alors que demain ne sera peut-être pas ?

Alors nous voici, les blanches détentrices du savoir. Les enfants, les femmes, les membres de l’association attendent tellement de nous que ce que je suis capable d’apporter me paraît dérisoire.

Mais n’oublions pas tout ce bonheur que ces personnes savent nous donner, toute cette joie qu’ils savent nous transmettre, et cette sagesse dont nous nous imprégnons. Rentrer en France et oublier leurs vies. Oublier leur quotidien, oublier leur lutte, oublier leur manière de concevoir la vie. Vivre sans culpabilité. Jamais.

Marion :

Donc, pour cet article un peu spécial (qui n’en est pas vraiment un, au sens où vous n’aurez pas vraiment le résumé de la journée), je tenais à dire que Gwen aussi pousse des cris suraigus à chaque fois qu’elle a des nouvelles de ses proches (Oui, c’est très mesquin de le dire, mais je me devais de me venger). Que dire d’autre ? Je pense qu’au travers des articles rédigés jusqu’ici, on peut comprendre ma manière de penser et de voir les choses ici. Certes, c’est un blog commun, et je tente de faire en sorte que rien de personnel ne vienne parasiter ces compte-rendu que je veux le plus général possible (ou du moins, représentant au mieux les trois différentes personnes que nous sommes). On ne peut cependant empêcher une part de subjectivité transparaître entre les lignes, ce qui n’est pas volontaire.

Au terme de cette première semaine, ce que je voudrais souligner en priorité, c’est les sentiments mitigés qui peuvent naître en moi quand je pense à cette aventure. C’est vrai, c’est une expérience hors du commun, et une opportunité que je ne pourrai peut-être pas revivre. Néanmoins, est-ce un voyage que j’aurais la force de réitérer si j’en avais la possibilité ? Je ne sais sincèrement pas répondre à cette question. Non pas que je regrette, certainement pas. Mais moi, en tant qu’humaine, serais-je prête à revenir observer tant d’injustice en ne pouvant rien faire, ou pas grand-chose ? J’agis à mon échelle, au travers des actions que nous menons depuis ces quelques jours déjà. Vais-je changer le monde pour autant ? Le Burkina est un pays qui souffre, je ne peux le nier. Pour autant, ses habitants sont fiers, dignes, et veulent changer les choses. D’où ces émotions partagées : il y aurait tellement de choses à faire ici, que je crois qu’il est plus facile pour nous, occidentaux, de fermer les yeux et de se dire « mener une petite action qui aura peu d’impact sera inutile, autant ne pas s’épuiser en vain ». Et je suis en train de tomber dans ce piège. Pourtant, ce que nous faisons ici à réellement des conséquences positives sur la population de Zongo, c’est indiscutable. Des femmes qui, il y a deux jours, ne savaient pas réciter l’alphabet ou recopier une lettre, peuvent maintenant épeler leur nom. Alors, pourquoi ce goût amer dans la bouche parfois ? Je suis heureuse de discuter avec Antoine Onadja, de profiter de sa sagesse, je pourrais rester des heures à l’écouter me parler de tout et n’importe quoi. Augustin me fait rire, et est toujours très souriant, très disponible. Antoine Sawa, bien que discret, dégage une force certaine, une positivité indéniable. Le village nous a accueillies, nous recevons souvent des petits cadeaux (beignets, gâteaux, fruits, sourires, poignées de main). Ici, on ressent, même le soleil chauffe différemment (et pour cause), et pour peu qu’il y ait du reggae qui résonne pendant qu’on marche, on a envie de danser, on se sent chez soi. Et ce d’autant plus que nous maîtrisons mieux le mooré maintenant (tenir une petite conversation = fierté suprême !).

Alors il faut prendre sur soi. Se dire qu’on ne changera pas le monde, accepter de n’être qu’une goutte d’eau dans l’océan. Accepter le fait qu’on avance lentement, mais sûrement. Déployer son énergie progressivement, mais utilement. Donner ce que l’on peut, mais penser à soi, et rester fort, afin de l’être pour les autres. Se sentir moins impuissante, accepter la reconnaissance des habitants pour un geste qui me semble si faible, si dérisoire. Je suis fière de ce que nous accomplissons et accomplirons ici. Fière et heureuse de vivre ça avec Gwen et Hélène, car nous nous soutenons vraiment, pouvons rire et partager notre blues ensemble (il y a plus de rires que de blues !), progresser ensemble, réfléchir ensemble, apprendre et grandir ensemble. Oui, être ici fait beaucoup réfléchir, une réflexion qui ne s’arrêtera sûrement pas à la frontière du continent : ces pensées nous suivront dans l’avion, puis fouleront avec nous le sol français dès notre retour. Et resteront nichées, pour toujours, dans notre cerveau.

Peut-être que maintenant, quand j’allumerai une lampe, quand j’ouvrirai un robinet d’eau, quand je ferai chauffer un plat au micro-onde, je penserai à mes amis burkinabè. Peut-être que je n’écouterai plus jamais Tiken Jah Fakoli de la même façon. Peut-être que j’aurai envie de parrainer un enfant de Zongo.

Et peut-être qu’un jour, quand je serai prête, je reviendrai.

Message personnel (Françoise Hardy, si tu nous entends !)

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